Islamisme : guide lexical 

21 Déc 2024 | Publications, Etude | 0 commentaires

Radicalisme, extrémisme, fondamentalisme : cette terminologie est-elle corrélée à l’islamisme ?

Ce guide n’est pas exhaustif. 

Propos introductifs

Que l’on soit un laudateur ou un contempteur de l’islam et/ou de l’islamisme, chacun va user d’un vocabulaire qui lui est propre pour commenter dans le sens qui lui sied. La grande richesse de la langue française permet d’user et d’abuser d’un vocable parfois détourné de son sens premier.

Faisons le point : Quelle analyse lexicale peut-on faire des termes les plus couramment utilisés par les contempteurs : radical(e), extrémisme et fondamentalisme… ?

Propos liminaires

Comme nous l’avons abordé dans le document de présentation général de l’islamisme, ce particularisme sémantique est unique dans notre langue. Pourquoi donc le suffixe « isme » d’islamisme porte-t-il une signification différente des autres religions ? Nous savons qu’Antoine Sfeir, le regretté et éminent islamologue, n’a pu que constater cette incongruité sémantique sans pour autant l’expliquer rationnellement. Mais, par définition et par essence, le domaine de Dieu et de la spiritualité n’échappe-t-il pas à toute rationalité ?

La langue française est très riche et diversifiée. Selon diverses sources, le nombre de termes couramment parlés par la population lambda varie entre soixante mille et cent mille mots. Si l’on y ajoute les termes techniques, les néologismes ainsi que les régionalismes, l’estimation est de trois cent mille à quatre cent mille mots ! Un adulte « moyen » utilise environ mille mots dans son expression courante quotidienne et certains adultes – peu éduqués – s’expriment avec deux cents cinquante à trois cents mots par jour seulement (!).

Alors… Qu’en est-il de la rhétorique attachée à l’islamisme ? J’ai choisi, de manière tout à fait arbitraire, les termes que d’aucuns qualifieront d’inappropriés mais qui – dans le langage courant – sont accolés à notre sujet principal : l’islamisme.  

Radical, radicalité, radicalisme, radicalisation…

En ce qui concerne l’islamisme et son corollaire, l’islam, le terme qui revient le plus souvent dans les commentaires politico-médiatiques est radical et son cortège de déclinaisons : radicalité, radicalisme, radicalisation. Pourquoi utiliser cet adjectif ? Pourquoi l’utiliser (le plus souvent) pour l’islam et l’islamisme et pas pour les autres cultes ? Avez-vous déjà entendu parler de catholique radical, de catholicisme ou de judaïsme radical ? Factuellement, il est possible que oui, mais à la marge. Dans le monde du langage courant, on va utiliser couramment le terme d’intégrisme…

Que nous dit le Larousse ? L’adjectif radical est défini ainsi : qui professe, en matière politique et sociale, des opinions tranchées visant à une transformation profonde de la société. Cette définition correspond-elle à l’islamisme ? Partiellement sans doute. Mais, les Frères Musulmans étant passés maîtres dans l’art de la duplicité, il est donc ardu et audacieux de répondre franchement à cette question.

Voyons ce que nous propose les outils du 21ᵉ siècle : l’IA. Que nous répond-elle ? Cette dernière évoque quatre définitions correspondant à de la linguistique, de la politique, des mathématiques ainsi que de la chimie.  Intéressons-nous à la définition politique et lisons : En politique, un radical désigne une personne ou un groupe qui prône des changements fondamentaux dans la société ou le gouvernement. Ils sont souvent en faveur de réformes profondes et rapides. Là encore, cette définition est – partiellement – battue en brèche par la duplicité des FM ainsi que par la notion du “temps qui passe” qui contredit le concept de “réformes […] rapides”.

In fine, et pour clore ce chapitre, l’utilisation habituelle et presque conventionnée du terme “radical(e)“ renvoie à l’islam et pas à islamisme. On évoque “un islam radical” et jamais un “islamisme radical”, comme si l’islamisme était consubstantiel d’une radicalité ou d’une forme de celle-ci ; ce qui n’est pas nécessairement le cas.

Extrême, extrémisme, etc….

Voilà bien un terme qui interpelle. En effet, que ce soit sous l’angle de l’adjectif ou du nom commun, ce mot renvoie à une notion de “finitude”, “d’extrémité”, de “il n’y a plus rien après”…. Or, quel que soit le milieu, qu’il soit politique ou spirituel, vous trouverez toujours des personnes, des idées, des concepts, un modus vivendi ou operandi qui sont plus « extrêmes » que ce que l’on a pu imaginer de plus « extrême »…

On ne peut donc pas, décemment, s’exprimer en termes d’extrême et/ou d’extrémité concernant l’islamisme ; car, dans ce domaine aussi, on peut toujours trouver plus “extrême qu’extrême”…

Par ailleurs, pour des raisons défiant toute logique, l’utilisation de ce terme s’applique – dans le langage courant – à la politique ; où on va évoquer l’extrême droite (EXD) ou l’extrême gauche (EXG), mais jamais vous ne rencontrez l’expression « islam extrême » ou « extrême islam », pas plus que pour le catholicisme, le judaïsme, etc…. 

Les termes “extrême” et “extrémisme” ne s’appliquent pas au terme “islamisme”, même si –structurellement – en sa qualité de mouvement politique, on peut le concevoir dans la forme.

Fondamentalisme (islamique)

Hmmm…. Un terme intéressant. Il renvoie à ce concept de retour aux fondements (aux bases), de l’islam en l’occurrence, ainsi qu’à un anachronisme magnifiant l’idée d’un retour en arrière (au VIIᵉ siècle de notre ère et – pour être précis – en l’an 622 (début de l’hégire / hIjra). Les fondamentalistes portent en eux l’idée d’un islam des premiers temps, un islam pur et idéalisé, parfois fantasmé. Un islam séculaire dépollué des scories des siècles écoulés ainsi que des effets délétères du temps et des « impuretés » de l’époque moderne. Ils sont généralement assimilés à des littéralistes et des orthodoxes qui rejettent sans ambages le concept d’effort d’interprétation et d’exégèse : l’Ijtihad qui est prôné par l’une des quatre écoles juridiques de l’islam sunnite, le Hambalisme. C’est cette orthodoxie et cette lecture « rigoriste » que l’on retrouve dans l’idéologie de la Jamaa’t Tabligh (mouvement de prédication et de piété) et du Salafisme, de l’arabe « Salaf » (anciens, prédécesseurs). Pour autant, même si les Tablighi et les Salafistes ont en commun, dans leurs corpus idéologiques, chacun en ce qui les concerne, une vision sur un retour aux fondements d’un islam (pur), ils ne s’apprécient guère. Les Tablighs considèrent les salafistes comme de « dangereux terroristes ou portant en eux les graines d’actions violentes »  ; alors – qu’à contrario – les Salafistes perçoivent les Tablighi comme le « ventre mou de l’islam, ne se bornant qu’à de la prédication bien gentillette ».

Alors… L’islamisme est-il fondamentaliste ?

Là encore, tout comme les vocables radical et extrême, on ne peut globaliser ou essentialiser pour employer un terme à la mode. Comme tout élément historico-spirituel, l’islam est bâti sur un fondement historique et chronologique. Mais certains mouvements – nous venons de le voir – ont une vision littérale, coincée dans une autre temporalité que la nôtre à l’instar des Amish aux États-Unis (là s’arrête la comparaison). Mais l’islamisme, dans son acception originelle, n’est pas fondamentaliste. Il reste bien ancré dans notre temporalité et sait parfaitement bien s’adapter et se mouvoir par la manipulation, la victimisation (perpétuelle) et la duplicité.

Comme nous l’avons vu, il n’est guère aisé de coller une terminologie spécifique à la déclinaison politique du culte mahométan. Les Arabo-musulmans, au Maghreb et au Machreq, qu’ils soient islamistes ou pas, s’amusent de nous voir globaliser « basiquement » ce qui relève de l’humain pluriel et de sa complexité. Ils nous reprochent de “toujours vouloir caractériser, de définir, d’identifier les individus” et de « faire entrer tout à chacun dans des cases”.

Cette perception est un non-sens pour eux… Elle est tout aussi obscure que le concept de laïcité.

Quelle est ma légitimité pour écrire cet article ? 

Fort de quarante années passées au sein de deux ministères régaliens, la Défense et l’Intérieur, j’ai – pour l’essentiel de mon temps – travaillé dans le domaine de la prévention de la radicalisation à caractère islamiste ainsi que dans le suivi de l’islam radical à connotation jihadiste.

J’ai également suivi le phénomène de conversion à l’islam – avec ou sans radicalisation – principalement en milieu scolaire, post ou périscolaire. J’y ai rencontré de nombreux convertis ou en voie de l’être ainsi que des parents ou des proches, désemparés, ne sachant comment gérer et interagir face à un tel bouleversement qui touche tous les milieux sociaux.

Mon parcours au sein du ministère de l’Intérieur a été agrémenté de deux missions (en qualité d’observateurs). L’une au Kosovo en 1999-2000 et la seconde dans la bande de Gaza en 2005-2006.

Cette double formation me permet de porter un discours désidéologisé, fruit de très nombreuses rencontres et d’expériences de terrain.

Philippe Châtenet 

ID : 13340480 

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INFORMATION

L’article (analyse, conseil, étude) est unique et a été rédigé par un bénévole expert de chez ADESS, ayant une grande expertise dans sa thématique de prédilection. Il a accumulé une expérience professionnelle significative et des diplômes qui lui sont associés.

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